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Oh my Gode! Dykes on my TV!
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14 avril 2007

Introduction

Peu de travaux ont été consacrés à la place des lesbiennes à la télévision : c’est un point que j'ai d’ores et déjà souligné dans l’avant-propos de ce mémoire. C’est l’une des raisons pour lesquelles j'ai décidé de travailler sur le présent sujet. L'objectif étant de comprendre les logiques et les schèmes des représentations de l’homosexualité féminine dans une série de fiction et d'en profiter pour dresser un panorama des représentations de lesbiennes à la télévision française.

Pour Larry Gross, les médias participeraient à « l’annihilation symbolique des gays et des lesbiennes, en les stéréotypant, en n’en donnant que rarement une image réaliste ou en ignorant tout simplement leur existence »[1].

 

Son point de vue peut paraître extrême et pourtant en se penchant de plus prés sur la réalité télévisuelle on ne pourra que constater que la télévision a longtemps ignoré, voire invisibilisé les homosexuels en général et les lesbiennes en particulier, pourtant, ne pas parler de l’homosexualité, c’est exclure de la sphère publique une partie (estimée de 5 à 10% de la population globale) du réel social qui la compose. Certes, si l'on considère l'homosexualité de l'unique angle sous lequel on se plait à le confiner de la sexualité, on en vient à dire que cela est du registre de la sphère privée. Cependant, et c’est bien là que le bât blesse, dès lors que l’hétérosexualité investit quotidiennement l’espace public, pourquoi l’homosexualité ne pourrait aspirer à y avoir accès elle aussi?

 

 

Pourquoi travailler sur la représentation des lesbiennes et non des homosexuels de manière plus générale?

Depuis 1999 et l'institution de la loi sur le Pacte Civil de Solidarité, la « communauté homosexuelle » s'est trouvée largement médiatisée en raison de ses demandes égalitaristes (mariage, adoption…). Une médiatisation, voire surmédiatisation, aux formes et conséquences diverses qui sort de l'ombre une partie de la population que la télévision niait, on l'a vue précédemment. Le terme de « communauté homosexuelle » rassemble les lesbiennes et les gays qui se sont longtemps vus privés de droits et ostracisés en raison de leur identité sexuelle.

Dans ce groupe, les lesbiennes se voient doublement ostracisées : une première fois de part leur statut de femme (individu sous-citoyen d'une société sous domination masculine) et leur statut d'homosexuelle (sous-citoyen d'une société hétéronormée).

Le « sujet républicain […] n'est pas l'individu abstrait de l'universalisme mais le sujet masculin blanc hétérosexuel français. »[2]

Les lesbiennes ont été largement occultées dans la culture et l'histoire, « quand il est mentionné par les historiens, le lesbianisme est souvent dénaturé, réduit à sa dimension soit sexuelle, soit affective, à l'inverse de la pédérastie reconnue socialement dans la civilisation gréco-romaine, par exemple. Aujourd'hui même, l'occultation médiatique du lesbianisme est fréquente. »[3]

Il m'est donc apparu important de voir comment ce groupe de « sous-sous-citoyen » pouvait être représenté sur la forme et sur le fond, sous l'œil des caméras et ainsi exposé aux spectateurs passifs que sont souvent les téléspectateurs.


Pourquoi préférer le terme « lesbienne » au terme « homosexuelle »?

Si le mot « lesbienne » est apparu au Moyen-âge à propos de Sapho, la poétesse de Lesbos - qui donnera donc deux dénominations pour qualifier les amours entre femmes, « lesbienne » et « saphique » - ce n'est qu'au XIX° siècle qu'il réapparaît pour cette fois qualifier la « tribade ». Le mot est alors chargé de connotation psychiatrique dans une société religieuse, conservatrice et moralisatrice où l'homosexualité (sexualité sans fins reproductives) est contre-nature et donc psychiatrisée.

Dans les années 1970, à l'heure des mouvements féministes et homosexuels qui secouent une France jugée trop conservatrice, les militantes féministes homosexuelles vont s'approprier le terme de « lesbienne », le vidant de son poids psychiatrique pour le charger d'un sens politique. « Lesbienne » est donc préféré au terme « homosexuelle » qui qualifie la simple préférence pour les personnes de même sexe.

Et puis, vers la fin des années 1980, « le lesbianisme […] perd un peu de sa dimension politique et se trouve subsumé dans l'homosexualité "gay et lesbienne". »[4]

Les « cultural studies » ou « gender studies » sont majoritairement anglo-saxonnes, loin de nos « universités straight »[5], du fait de l'absence de genre de leur langue, « homosexual » n'ayant pas de féminin, le terme « lesbian » est le terme usité pour qualifier la tribade, la saphique, etc…

De nos jours, le terme venu de la langue anglo-saxonne « gay » qualifie l'homosexuel qui s'auto-définit ainsi, qui « s'assume » pour reprendre un terme à la mode d'une époque où le « coming-out » est une sorte de rite de passage tribal qui va faire sortir de l'ombre, du « placard », de sa chrysalide, l'homosexuel affranchi. De la sorte, le mot « lesbienne » peut tout à fait revêtir ces mêmes attributions selon qu'il est utilisé en auto-définition ou bien en définition d'autrui.

A mon sens, dire « je suis lesbienne » n'a pas la même charge émotionnelle que dire « je suis homosexuelle » ou d'entendre dire « elle est lesbienne ». Dans « je suis homosexuelle », j'entends ce qu'entendaient les militantes lesbiennes des années 70 : « mes préférences affectives et/ou sexuelles vont vers les femmes ». Derrière « elle est lesbienne » et selon le ton utilisé, peuvent se cacher moultes connotations plus ou moins péjoratives, crues ou politiques : « lesbienne / gouine / brouteuse » ou bien « lesbienne / féministe / militante / révolutionnaire ».

Pour ma part, dans « je suis lesbienne », j'entends « je revendique l'identité et me définis comme m'apparentant aux codes, aux revendications, à la culture, à l'histoire des lesbiennes de par les âges et de par le monde ».

C'est donc dans une approche politico-militante et étudiante que je préférerai le terme « lesbienne » à celui d' « homosexuelle ».


Pourquoi choisir la télévision ?

La télévision se révèle être un outil intéressant car ce mass media se veut la lucarne du monde, un reflet plus ou moins déformé de notre société et des groupes qui la composent. Cet outil est non seulement spectateur comme regardant le monde mais acteur comme y participant, la télévision est interactive : elle regarde l'objet et agit dessus selon le regard qu'elle a porté, l'angle utilisé, ou parfois même juste parce qu'elle ne l'a pas regardé… Outil donc fort complexe et intéressant d'autant plus qu'il s'est insinué dans la majorité des foyers occidentaux : 98 % des foyers français possèdent un poste de télévision. Contrairement à d'autres médias comme le cinéma ou le théâtre qui supposent une démarche active du spectateur (choix du programme, réservation et paiement de la place, déplacement vers le lieu culturel), la télé ne suppose aucune démarche préalable et rend le plus souvent le spectateur passif, comme subissant un programme sans forcément avoir consulté de « programme-télé ».

Cependant, le spectateur joue un rôle non négligeable en terme de part de marché, comme pour les médias précédemment cités, le public justifie l'existence du programme. La télé, de plus en plus privatisée, ne vivant donc que des subsides de la publicité n'a de choix que d'attirer et de séduire un large public.

La télévision est donc un média particulier et particulièrement intéressant en tant que vecteur d'information, de désinformation et en tant que miroir/acteur d'une société.


Présentation et justifications du corpus utilisé

Comme nous le verrons en détail plus loin dans cette étude, la visibilité lesbienne à la télévision française a connu une croissance non négligeable ces dernières années. Si la diversité des programmes permet une vision « large » du sujet elle suppose aussi la nécessité de faire un choix. J'ai donc décidé de m'attacher plus particulièrement à la représentation des lesbiennes par la fiction et d’exclure de ce travail les émissions, talk-shows et télé-réalité, que je ne ferai qu'évoquer dans le panorama historique, juste pour resituer dans un contexte global, les apparitions lesbiennes dans la fiction télévisée. L'objet de référence de l'étude sera la série The L Word, première série télévisée dont les protagonistes sont essentiellement lesbiennes. De par son coté pionnier et novateur, cette série permet une réflexion approfondie sur la perception qu'elle donne des lesbiennes par des personnages dont l'identité sexuelle n'est présentée là que comme un élément constitutif de leur identité globale, mais qui détermine beaucoup des interactions entre eux et le monde.

La méthodologie mise en œuvre pour l’analyse

L'objectif de cette étude est donc d'analyser les représentations des lesbiennes dans The L Word. L’analyse des mécanismes sémiologiques et discursifs sera donc privilégiée. La question, est alors de percevoir comment la série s’y prend pour représenter aux yeux du monde les lesbiennes, en mettant en scènes des lesbiennes, de s'attacher aux axes et angles de vue, et de déceler les intentions d'une telle série. 

A ce jour, seule la première saison* de la série a été diffusée sur les écrans français, alors qu'outre-atlantique on a pu déjà assister à deux saisons du programme, une troisième est en cours de production.

J'ai pourtant étudié les deux saisons diffusées selon une même logique : un premier visionnage m'a permis de mettre en exergue les grandes lignes des modes de représentations des lesbiennes dans la série et de dégager quelques axes/pistes de réflexion. Puis d'autres visionnages assortis de l'étude des transcripts* m'ont permis d'approfondir la réflexion sur les axes dégagés et d'en analyser les images et les dialogues relatifs.

Parallèlement, les réflexions et études réalisées sur le forum mis en place dans la perspective de ce mémoire, ont nourri ma réflexion et éclairé des pistes alors inexplorées.

 

Présentation de la problématique et des hypothèses

A la lumière de ces visionnages, de la lecture d'articles dans la presse (notamment anglo-saxonne), de la fréquentation de forums relatifs à la série et notamment de celui créé pour l'occasion, des questions, des pistes de réflexion ont jailli et ont fait émerger un point d'ancrage. Il m'est alors apparu évident que toutes les questions que je me posais, toutes les réflexions qui s'imposaient, tournaient autour d'un axe de recherche principal : les ressorts de la visibilité lesbienne.

Ainsi une question principale s’est dégagée : Quels sont les ressorts de la visibilté lesbienne dans la première série télé grand public présentant un groupe de lesbiennes, The L Word ?

Aussi plusieurs hypothèses sur la manière dont la série « visibilise » (en opposition à l'invisibilisation des lesbiennes par la télé avant le PACS et la médiatisation de l’homoparentalité) les lesbiennes ont surgi.

Cette étude visera donc à soulever un questionnement sur plusieurs vecteurs d'intégration supposés des lesbiennes par les téléspectateurs, induits par la série.

  • Le recours à la lipstick lesbian* serait un vecteur d’intégration des lesbiennes sur le petit écran, en tant que seule figure acceptable de l’homosexualité féminine.
  • L’hétérocentrisme* serait la seule norme de référence qui permettrait cette mise en images.
  •  La « visibilité positive » serait ainsi favorisée afin de finir par « indifférencier » les lesbiennes à l’écran.

L’étude visera aussi à dégager des pistes d'exploration sur les notions de genre et de sexualité, la manière dont elles sont abordées et s'entrelacent, le jeu de miroir qui se tisse entre elles, dans The L Word.

 



 

[1] GROSS, (L), 1994, What is wrong with this picture? Lesbian women and gay men on television, dans R. J. Ringer (dir.), Queer words, queer images: Communication and the construction of homosexuality. New York, New York University Press, p. 143.

[2] BOURCIER, (M-H), 2005, Sexpolitiques - Queer Zones 2, Paris, La Fabrique, 301 p. p.90.

 

[3] GERARD (R), 2003, Lesbophobie, dans L-G. Tin (dir.), Dictionnaire de l'homophobie, Paris, Presses Universitaires de France, 451 p. p.263.

[4] CHETCUTI (N), 2003, Lesbianisme, dans D. Eribon (dir.), Dictionnaire des cultures gay et lesbienne, Paris, Larousse, 548 p., p.290.

[5] BOURCIER (M-H) Op. cit., p.10.

* Transcription du script, écriture du script d'après l'épisode où les dialogues et actions sont décrites et transcrites in extenso.

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