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Oh my Gode! Dykes on my TV!
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15 avril 2007

Hétéro-filtre et stéréotypes

Comme nous l'avons vu dans la première partie, la société dans laquelle nous évoluons est une société hétéropatriarcale*. Le patriarcat établit une séparation des sexes quant aux responsabilités et à l'autorité, ce qui en fait un système sexiste justifiant l'appropriation de la sphère publique par les hommes au détriment des femmes, la domination de la femme par l'homme, etc. Et justifiant aussi la « binarité nécessaire et normale », responsable de l'homophobie.

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Ce filtre hétéronormé amène trop souvent à penser binaire (homme/femme - masculin/féminin) et à n'envisager toute réalité qu'au travers d'un seul schéma que l'on tente d'appliquer en toutes circonstances pour décoder le monde.

Comme on l'a vu antérieurement, pour être dans la normalité et la normativité un couple doit être composé d’un homme et d’une femme, l’homme doit être considéré comme viril/masculin selon les codes en vigueur dans notre société (force, caractère, allure, look masculins, etc.) et la femme se doit d’être féminine (douceur, sensibilité, beauté, fragilité féminines, etc.). Évidemment, cela va sans dire, la logique hétéropatriarcale veut qu’elle soit dominée…

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Ceci étant dit, la production de The L Word étant indubitablement informée de l’existence de cet hétéro-filtre, il apparaît manifeste qu’elle a pris un malin plaisir à se jouer énormément des codes en vigueur, tout comme on le verra plus tard des stéréotypes…

Prenons par exemple le couple de Tina & Bette, c'est un couple que l'on va voir évoluer et dont, au fil des deux saisons, on va suivre l'érosion, le désir d'enfant, l'infidélité, la reconquête. Les personnages de Tina et Bette vont évidemment évoluer au cours de ces différentes phases et les évidences initiales qu'on pourrait juger, en un seul coup d'œil, comme stéréotypes (que d’aucun jugeraient affligeants) méritent qu'on les dépasse.

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Bref au premier coup d'œil, en regardant ce couple, d'un point de vue vestimentaire on peut y voir un stéréotype du couple butch/fem ou masculin/féminin avec Tina plutôt butch et Bette plutôt fem. Mais là où le stéréotype prend l'eau c'est quand on regarde l'aspect comportemental, Bette serait plutôt le masculin et Tina le féminin…

Il me semble alors évident que ce couple n’est absolument pas un stéréotype ou une caricature de lesbiennes.

Il m’apparaît plutôt comme une évidence que les créatrices de The L Word ont joué sur la dichotomie masculin/féminin autour et par l'être et le paraître des deux personnages, comme s’il y avait là un rappel à l’ordre quant à l’importance ridiculement accordée aux apparences…

Les personnages vont évoluer à mesure que la situation du couple va se dégrader, le personnage de Tina, avec la perte de son enfant va grandir, reprendre de l'autonomie, ne plus aller chez le teinturier pour Bette, être moins disponible, en  s’investissant dans la sphère publique. Le couple va se distendre pour arriver à l'infidélité de Bette que Tina va deviner par une main tenue un peu trop longtemps par sa compagne à un vernissage.

La scène sur laquelle je vais m'attarder ci-après survient dans le dernier épisode de  la Saison 1[1], elle m'apparaît comme un point d'orgue dans le couple Bette/Tina et dans la série elle-même, dans l'angle novateur d'approche du genre, de la sexualité qu'elle révèle.

De retour chez elles, Bette, inconsciente de la révélation que vient d'avoir Tina, mais tout de même perturbée par la dualité des sentiments Raison / Passion qui l’animent et la divisent, se déshabille devant son armoire à glace et soudain son regard se perd sur Tina, les yeux dans le vague, plus « avachie » qu'assise. Bette, inquiète vient vers Tina, qui la dévisage. Bette comprend qu'elle sait, d'ailleurs Tina le lui dit la voix tremblante « I know. I saw it. »[2] Bette, larmes aux yeux, l'entoure de ses bras et soupire un « I'm sorry »[3], désespéré.

Alors, Tina entre dans une colère noire, la rage l'envahit. Elle se dégage de l'étreinte de Bette et la gifle si violemment qu'elle chancelle en grimaçant. Elle tente à nouveau d'étreindre Tina en lui disant qu'elle l'aime mais Tina la repousse en criant une kyrielle de « Fuck you! »[4] en tapant et giflant Bette furieusement. Bette qui tente de se protéger des coups et de stopper Tina continue à scander des « I love you » qui ne trouvent en écho que des « Fuck you !». De guerre lasse, Bette finit par plaquer Tina à plat ventre sur le lit et se couche sur elle, la bloquant et lui immobilisant les mains. Tina continue de pleurer et de crier, le visage dans la couette, Bette lui répète qu'elle l'aime, ce qui vaut à Tina un sursaut de rage et elle tente de dégager ses mains en vain.

A ce moment précis, bien qu'elle soit dans une position physiquement dominante, Bette est désemparée et cherche l'assentiment de Tina, dont l’avenir de leur relation ne dépend plus qu’exclusivement. Plusieurs hypothèses pourraient expliquer les raisons pour lesquelles, profitant de sa supériorité physique, Bette va déshabiller Tina, la couvrir de baisers de la nuque aux épaules, libérant enfin ses mains, lui répétant qu'elle l'aime, qu'elle doit la croire, qu'elle est désolée, pour ensuite glisser sa main entre ses cuisses. Derrière ce geste, cette tentative de s'approprier l'intimité de Tina dans un tel moment de conflit, on peut voir beaucoup de tristesse, d'impuissance, de frustration, de désespoir, peut être même un ultime sursaut de désir de contrôle…

Tina l'adjure d'arrêter, tente de bloquer sa main, se débat violemment pour repousser Bette et parvient à se retourner sur le dos. Bette bloque à nouveau les mains de Tina en pleurant, c'est maintenant elle, qui la supplie d'arrêter ses « Fuck you... » qu'elle étouffe dans un baiser. Tina continue de pleurer mais se calme, cesse de se débattre. Bette continue de lui dire qu'elle l'aime en pleurant. Elles pleurent toutes deux.

Contre toute attente, Tina renverse Bette sur le lit, prenant alors le contrôle de la situation, à nouveau en proie à une « Fuckyoumania » incessante. Elle bloque les mains de Bette puis se penche vivement sur elle et la mord à la nuque, lui arrachant un cri de douleur. En pleurant Bette la supplie. Mais Tina la mord de nouveau, à la poitrine. Bette pleure et crie, tentant de se soustraire de Tina, en vain. La morsure comme arme de vengeance, du « je te fais mal car tu m'as fait mal », a évidement un coté animal, charnel. Mais la morsure est une douleur provoquée par la bouche, la bouche qui a aimé, embrassé, caressé. La morsure est alors aussi passionnelle. Tina utilise sa bouche pour faire mal, cette bouche dont aucun autre mot que « Fuck you » ne parvient à sortir. Cette bouche qu'elle unit alors à celle de Bette, dans un baiser violent.

Bette lui rend son baiser et Tina finit par lui libérer les mains. Tina domine Bette à ce moment, elle a pris le contrôle. Elle se saisit de la main de Bette et la pousse entre ses cuisses, faisant venir Bette en elle. Leur étreinte est courte mais intense, emplie de sentiments divers, amour, amertume, rage, regrets, si intense, si passionnelle, si charnelle...

Au premier visionnage, cette scène m'avait remuée car sa violence m'avait frappée, j'y voyais bien une lutte pour la domination de l'autre, les efforts désespérés de Bette pour contrôler la peine de Tina et ne surtout pas la perdre, la lutte de Tina pour s'affranchir de l'emprise de Bette. Puis avec le recul c’est à la lueur d'un article sur la gestion du conflit chez les primates  (sic), qu’une autre interprétation liée au genre m'est venue et m'a frappée par son évidence[5].

Il faut savoir que le bonobo et le chimpanzé sont « cousins » et ont 98% de gènes communs avec l'homme. Ces primates ont de nombreuses similitudes hormis sur la notion qui nous intéresse là, qu’est la gestion des conflits. Alors que les chimpanzés règlent leurs différends par la violence, les bonobos, eux, ont recours à une sexualité parfois débridée pour les résoudre. Il faut savoir que les chimpanzés forment une société dominée par les mâles, contrairement à ce qui se passe chez les bonobos, où ce sont les femelles qui dominent le groupe.[6]

Évidemment le raccourci « bonobo / lesbiennes » présenté ainsi peut paraître inepte ou dégradant, mais si l'on considère la scène en se disant que dans une société régie par les « femelles », les conflits se régleraient par le recours à la sexualité, la scène apparaît alors moins violente et prend une nouvelle dimension, liée à une autre forme de communication dans une société où, justement, ce terme s’est vidé de son aspect relationnel à mesure qu’on l’a empli de technologie…

Évidemment si Bette et Tina étaient des bonobos (ces primates chez qui on a observé toutes formes de sexualité et pratiques sexuelles entre partenaires de sexe opposé ou non), leur conflit serait enfin réglé, car chez les bonobos la sexualité sert à apaiser les tensions ou à se réconcilier. Shane expérimentera aussi ce mode de communication avec Lacey, la fille hystérique depuis que Shane l’a « quittée », après des jours de harcèlement. Les résultats se révéleront plus probants.[7]

Même si, pour Bette et Tina, cet acte ne fait pas office de « calumet de la paix », il marque néanmoins un changement absolu des relations et des statuts dans un couple dont Tina va s'affranchir dès cette séquence. Si l'on met cette scène en parallèle avec celle de leurs retrouvailles dans la Saison 2 [8], la tendance est absolument inversée puisque dès lors, le rapport de force se renverse en faveur de Tina. 

Si je me suis penchée avec autant d’insistance et de précision sur cette séquence, c’est qu’elle me paraissait intéressante à plusieurs égards, notamment sur les relations de genre mais aussi et surtout de domination liée au genre. Une confrontation mettant en scène un couple hétérosexuel dans cette situation n'aurait pu être traitée de la sorte tant les rôles sexués dans chaque situation sont attendus. Mise en scène ainsi, l’homme serait apparu dès lors comme « violeur » usant d’une supériorité physique, quand bien même il n’eut rien fait de plus que Bette. Il me paraissait intéressant là de voir que mettant en scène un couple de lesbiennes, les rôles sexués sont alors caducs et la « domination » aléatoire.

Ensuite il me semblait qu'en matière de vision de la sexualité lesbienne, cette scène brise tous les stéréotypes Hamiltoniens[9] de douceur, d'évanescence saphique…

En conclusion, le couple Bette/Tina peut être lu de manière très sécurisante, comme un couple répondant bien aux critères binaires de l'hétéropatriarcat, un masculin associé à un féminin renvoyant aux célèbres questions de : « qui fait l'homme? Et qui fait la femme? » qu'essuient de nombreux couples homosexuels, comme s’il apparaissait inconcevable qu’une seule et même personne puisse posséder des qualités, aptitudes et endosser des responsabilités qui relèvent des deux genres que la société reconnaît. Comme si un couple ne pouvait fonctionner que sur la seule référence hétéronormée.

Mais parallèlement ce même couple a un coté subversif, il représente un pied de nez à l'hétéropatriarcat me semble-t-il car il démontre très clairement que la distribution des « rôles sexués » est une convention sociale, et non une fatalité biologique, un état naturel. D’où une remise en cause de ce qui est « féminin » / « masculin » ou ce qui ne l’est pas, des catégories de genre.

Les stéréotypes sur les lesbiennes foisonnent. La série semble s'en jouer, par la double lecture qu'elle propose.

Une première lecture est ironique voire caricaturale. Le stéréotype est lancé puis une lecture au second degré, le désamorce, induit par un sourire, un regard, une moue, un mot, un « je-ne-sais-quoi » qui fait clin d'œil. Prenons en exemple la séquence de la visite de Bette et Tina chez le « psy des stars », Dan Foxworthy discourt sur la relation lesbienne : “Early sex is passionate. It's illicit, exciting, still has that factor, but... very quickly, a kind of symbiosis develops. […] It especially happens between two women who are doing the work of making a serious commitment to one another. And when that merging occurs, the intense mutual dependency can be a deterrent to sexual intimacy.”[10]

/.../

On peut ainsi se dire qu'au lieu de proposer une représentation « littérale » des lesbiennes, The L Word se détache de la performance de montrer ce qui est vraiment « lesbien » et joue avec les stéréotypes pour créer un espace positif de représentation « lesbien ».


 

[1] 1.14 Limites / Limb from Limb

[2] Trad : « Je sais. J’ai vu »

[3] Trad : « Je suis désolée »

[4] Trad : « Va te faire foutre ! »

[5] (De là, à dire que les lesbiennes n'en seraient donc pas encore arrivées à ce stade de maîtrise de la communication sociale qu’ont atteint les bonobos… sic)

[6] GAUTHIER, (P), Les bonobos substituent le sexe à la violence,  sur http://www.cybersciences.com/cyber/3.0/n1529.asp, France, 05/11/1999 (Cité dans http://www.lespantheresroses.org/textes/lezoo.htm)

[7] Episode 1.04 Liaisons / Longing

[8] Episode 2.09 Late, Later, Latent

[9] Cf : Comédies érotiques du photographe britannique, David Hamilton entre 76 et 83.

[10] Trad : « Au début, le sexe est passionné. C’est illicite, excitant, ça se passe toujours comme ça… mais, très rapidement, une espèce de symbiose se développe. […] Cela se produit plus particulièrement entre deux femmes qui effectuent un travail d’engagement sérieux l’une à l’autre. Et c’est là que cette fusion se produit, la dépendance mutuelle intense peut être une force de dissuasion à l'intimité sexuelle »

[11] “Lesbian Bed Death” : Nom donné à une panne sexuelle chez les lesbiennes qui, révélé par une étude scientifique de 1983, serait la conséquence normale de quelques années de couple lesbien. « Phénomène » nuancé par d’autres études ou observé aussi chez les gays ou les hétéros, de plus en plus remis en cause.

[12] Trad : « Oh mon Dieu ! Les lesbiennes ont hâte de fusionner ! »

[13] Cf : Personnage de Chapeau Melon et Bottes de Cuir / The Avengers, G-B, 1961 – 1969.

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