Visibilité positive / Indifférence / Egalité
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Pour les lesbiennes, on peut supposer que The L Word
représente, plus qu'une question d'identification, mais en quelque sorte la
conquête de la visibilité positive sur le no man’s land de la représentation
lesbienne.
Il est nécessaire de s'arrêter un instant sur cette question de visibilité positive derrière laquelle peuvent se cacher diverses interprétations. Certains courants militants identitaires estiment que la lutte contre l'homophobie ne peut exister sans « visibilité », l'action de rendre visible ce qui fut longtemps clandestin. En général, les phobies naissent de l'ignorance, l'homophobie n'y échappe pas et les stéréotypes dévalorisants et diffamatoires qui accompagnent l'homosexualité ont la peau dure, il semble difficile de s'en défaire (homosexualité = pédophilie, perversion, provocation, etc.). Donner à connaître à l'autre en sortant de la clandestinité est alors employé comme moyen de lutte contre l'homophobie.
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« Ce
qui est intéressant, dans cette série, c'est que l'on assume d'emblée
l'acceptation de l'homosexualité, par les téléspectateurs. On humanise les
lesbiennes, en les dépeignant comme de "vraies personnes" avec des
vies complexes »[2]. Même si elle n'est pas familière avec The L
Word, la sociologue Line Chamberland, dit apprécier « cette idée
d'une intrigue où l'orientation sexuelle se passe de présentation. »[3]
« La série montre aux américains que les lesbiennes sont comme tout le monde. Elles font partie de votre monde. Peut être que vous ne vous en rendez pas compte. Elles vivent leur vie comme tout un chacun. Elles ont les mêmes problèmes que tout le monde. » [4]
On voit
bien alors que la frontière entre visibilité positive et invisibilité est très
floue et mouvante. Paradoxalement, montrer des « lesbiennes positives »
reviendrait à les invisibiliser au regard des autres femmes, c'est sur ce fil
que la visibilité lesbienne évolue dans une série comme The L Word et
dans les courants identitaires, une sorte d’ « être positif pour devenir
neutre »...
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En effet, les filles de The L Word sont sportive, responsable d'un musée, journaliste, travailleuse social, gérante d'un café, coiffeuse, elles sont présentes à des postes au carrefour de la vie, de la culture, de la société. Elles ont des responsabilités et des influences, elles prennent en main non seulement leur destin, mais leur influence s'immisçant aussi dans celui des autres, c'est une image valorisante de la femme qui ne bénéficie pas aux lesbiennes seules mais à la communauté féminine toute entière!
On en
revient dès lors à retrouver cette notion d'invisibilisation induite par la
féminité des lesbiennes représentées et l'hétérocentrisme ambiant…
Si l'on
part de ces constats, on ne peut que penser que The L Word
n'apporte en rien une révolution
transgressive ou subversive, mais on peut aussi imaginer que la subversion est
là, justement. Faire pénétrer un spectateur dans un univers où tout lui semble
familier pour peu à peu déconstruire ce
familier afin de l'emmener ailleurs, plus loin, dans une réflexion plus
poussée… Là encore, on ne peut
s'empêcher de retrouver le courant identitaire, cette revendication
intégrationniste et égalitaire.
Si la série
The L Word ne transgresse pas « la norme », ne peut-on pas
imaginer qu'en revanche elle se l'approprie, que plutôt que d’en choisir la
marge, elle la « noyaute » de l’intérieur?
De même, la
série semble redessiner les contours de l’orientation sexuelle en y instaurant
un flou et une absence de linéarité, comme pour aplanir les « différences ».
"Most girls are straight until they're not"[6].
Cette réplique d'Alice est devenue
un peu le gimmick* de la série tant il est vrai que les
personnages féminins sont soit des
lesbiennes en devenir soit des lesbiennes au passé hétéro.
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D’autres personnages hétéros ont connu l’homosexualité, soit
de manière expérimentale à l’instar de Leonor la mère d’Alice et de Peggy
Peabody qui a été lesbienne en 1974 (et juste en 1974!)[8].
Soit à une époque, dans un milieu, où la vivre semblait inconcevable comme pour
la mère de Dana qui eut un élan amoureux envers une de ses amies dans ses
jeunes années.[9]
La banalisation de l’homosexualité féminine passerait alors ici aussi par la démonstration que beaucoup de femmes ont connu un émoi amoureux envers une personne de même sexe, même s’il fut fugace ou inassouvi. Ou bien qu'elles sont susceptibles de le connaître...
[1] Ilene Chaiken dans Tout sur L, Op. cit.
[2] WARN, (S), dans « L comme dans… », Op. cit.
[3] CHAMBERLAND, (L), Ibidem.
[4] MOON, (G), dans Tout sur L, Op. cit.
[5] Ibidem
[6] Trad : « La plupart des filles sont hétéros jusqu’à ce qu’elles n’y soient plus… » - Episode 1.03 Lignée / Let's do it
[7] Episode 1.01 Langoureuse / Pilot
[8] Episode 1.04 Liaisons / Longing
[9] Episode 1.09 Lucidité / Listen Up